Numéro : 62

Titre : À la poursuite de la femme voilée

Parution : Juin 2018

Prix : 2 €

Description :

La femme n’est pas a priori la vedette du cinéma d’Abbas Kiarostami, qui a comme figure de prédilection l’enfant. Et pourtant, on ne saurait minimiser l’importance de celle-ci, fût-elle cachée, y compris par lui. La poursuite de la femme voilée est une situation récurrente du cinéma de Kiarostami : esquissée dans Expérience (1973) où le héros emboîte le pas d’une inconnue, comme par distraction érotique, cette scène est amplifiée de façon épique dans Au travers des oliviers (1994). Et le dévoilement semble culminer dans une scène de Ten (2002) avant que le détour par des films réalisés en dehors de l’Iran ne vienne encore voiler la réalité de la femme kiarostamienne. L’impératif du voile est une donnée avec laquelle le réalisateur doit composer, censure oblige, condition sine qua non pour pouvoir créer en Iran. Mais le réalisateur ne déclare-t-il pas dans Abbas Kiarostami, la Leçon de cinéma (2002) de Mojdeh Farnili qu’un cinéma se revalorise quand il ne montre pas tout car vouloir tout voir devient en quelque sorte pornographique ? Selon le cinéaste quand quelqu’un dévoile un secret, cela dessert le film. Ainsi tout se passe comme s’il trouvait paradoxalement son compte à cette situation le forçant à ruser, à redoubler d’imagination. En quoi sa manière de filmer la femme voilée révèle-t-elle donc un geste de cinéma ? Dans quelle mesure en outre cette pudeur est-elle plus qu’une contrainte culturelle et sociale mais aussi une disposition personnelle de l’auteur ?

Son cinéma a changé : très peu hospitalier au début à l’égard des femmes, il leur accorde d’autant plus d’attention à partir de Ten. Cependant cette éviction au tout début dans ses spots publicitaires par exemple correspond à une réaction à une tendance dominante inverse, selon ses dires.

Ainsi faudra-t-il étudier les voies complexes de résistance de l’auteur à la représentation traditionnelle ou environnante de la femme. Le cinéaste cultive le goût du paradoxe : lui qui filmait des femmes anonymes, non-professionnelles, va filmer Juliette Binoche, actrice célèbre, dans Copie conforme (2009), ce qui manifeste la volonté de croiser son cinéma oriental avec un cinéma occidental. Car la femme voilée a mille et un visages ici ou ailleurs, comme en témoigne la groom qui ouvre la portière au début de ABC Africa (2001) au seuil d’un documentaire sur l’Ouganda : comme déguisée de rouge, elle théâtralise l’entrée dans ce monde africain de façon provocante car heurtant les représentations courantes de l’Africaine. La femme kiarostamienne, plus souvent paysanne et modeste que citadine ou bourgeoise, est surtout iranienne mais peut changer d’identité et de rôle…

Auteur : Violaine Caminade De Schuytter

Format : PDF à télécharger

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