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23.01.25
Info parution : "De Palma, Mana, Cinéma. L'Impasse (Carlito's Way, 1993), par Jean-François BUIRÉ
Notre ami et collaborateur occasionnel Jean-François BUIRÉ signe un livre percutant, intégralement consacré à Carlito's Way (L'Impasse), l'un des meilleurs films de Brian DE PALMA. Nous conseillons donc vivement la lecture de cette analyse...
Lire la suite30.12.24
ÉCLIPSES N°75 : Jean-Luc GODARD, que peut le cinéma ?
ÉCLIPSES N°75 : Jean-Luc GODARD, que peut le cinéma ? Sous la direction de Alexia ROUX et Saad CHAKALI À 20 ans, ce fils bien né (son père est médecin, sa mère issue d’une grande lignée suisse protestante enrichie dans la banque) rompt...
Lire la suite20.12.24
Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI
Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...
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publiés sur le site
09.12.24
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Film : Freaks
On ne naît pas monstre, on le devient
Réalisateur : Tod Browning
Auteur : Paul Montarnal
Lire l'article19.04.12
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Film : Le Locataire
Elle et l’huis clos (3/3)
Réalisateur : Roman Polanski
Auteur : Youri Deschamps
Lire l'article17.04.12
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Film : Rosemary's Baby
Elle et l’huis clos (2/3)
Réalisateur : Roman Polanski
Auteur : Youri Deschamps
Lire l'articleChronique : L'Etrange Festival, dix-huitième édition
L'Etrange Festival, dix-huitième édition
(, 2012)
Du
6 au 16 spetembre 2012 s'est tenue la dix-huitième édition de l'Etrange
Festival, sympathique rendez-vous parisien fêtant comme il se doit le cinéma de
genre international, usuellement considéré avec un sourire en coin par le
landernau cinéphile, plus attaché aux "auteurs officiels" faisant la
joie des grands festivals internationaux (de Haneke à Reygadas en passant par
Garrone, le palmarès du dernier Festival de Cannes en est une preuve flagrante
et un peu désespérante). De fait, l'Etrange Festival fait office de salutaire
grain de sable dans une horlogerie trop bien huilée, ressemble à une
rafraîchissante bulle d'air permettant la visibilité d'un cinéma injustement
marginalisé.
La
programmation fut riche : 21 films en compétition (le Prix Nouveau Genre Canal
+ et le Prix du Public ont été remportés par Headhunters du Norvégien
Morten Tyldum, que nous n'avons pas vu mais qui jouit d'une réputation très
flatteuse), une quinzaine d'avant-premières (parmi lesquels les nouveaux Alex
De La Iglesia et Ulrich Seidl, ainsi que le Maniac de Franck Khalfoun,
remake du film de William Lustig [1980], ratage néanmoins attachant et
passionnant sur lequel il serait intéressant de revenir lors de sa prochaine
sortie en salles), quelques documentaires, une dizaine d'exhumations de raretés
cinématographiques (dont Moi, Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, ma soeur,
mon frère... de René Allio [1976], joli film glaçant disséquant un terrible
fait divers normand du XIXème Siècle dans un style naturaliste et
anti-psychologique assez ardu), des retours sur des metteurs en scène décalés
(l'Américain Ron Fricke, le Suisse Mathieu Seiler, l'Anglais Ben Wheatley), des
cartes blanches accordées à Kenneth Anger et Jan Kounen, une thématique sur le
cinéma bis motorisé (grâce à laquelle nous avons pu voir The Driver
de Walter Hill [1978], aux courses-poursuites ahurissantes ayant inspiré une
bonne partie des scènes du genre depuis lors), ainsi que deux nuits consacrées
aux zombies et au nouveau cinéma de genre anglais.
A partir de cette programmation pléthorique dans laquelle nous avons délicieusement picoré mais qui nous a imposé de faire des choix, retour sur trois films impressionnants de la compétition ainsi que sur un réalisateur à la filmographie peu fournie mais qui devient sans conteste la plus grande révélation du cinéma de genre de ces dernières années.
Ben Wheatley, ou un cinéma de crise
L’édition
2011 de l’Etrange Festival fut paradoxalement illuminée par un film d’une
noirceur absolue, glaçante ; Kill List, réalisé par Ben Wheatley et
sorti avec bonheur dans les salles françaises cet été, est en effet un film
époustouflant, glissant tel un serpent d’un genre à l’autre (de la chronique
sociale au polar hard boiled à l’épouvante), ceci jusqu’à un final aussi
ouvert que paralysant. Ce film formellement très abouti et possédant de
multiples pistes de lecture, est d’emblée à placer parmi les tout meilleurs
films de l’année ; il a surtout permis la découverte du talent d’un metteur en scène
atypique, tout autant héritier du cinéma des frères Coen que d’une tradition
très anglaise du cinéma de genre, de l’horreur Hammer au renouveau récent de
l’épouvante britannique.
Assumant
son rôle de découvreur, l’Etrange Festival a donc programmé lors de cette
nouvelle édition une petite rétrospective des trois longs métrages de Ben
Wheatley : Down Terrace (2009), qui était jusqu’ici inédit en France, Kill
List et Touristes ! (Sightseers), prochain film qui devrait
sortir en France fin 2012. Parler de triptyque serait abusif ; on peut
cependant tirer quelques fils directeurs de la courte filmographie de Wheatley,
réalisateur prenant une véritable envergure et qui sera à n’en pas douter
capital sur la carte du cinéma de genre mondial d’ici peu.
A
l'instar de Kill List, les deux autres films de Ben Wheatley sont
envahis par une profonde noirceur et par une violence explosive, parfois
excessive jusqu'au comique. Ce triangle magique fonde le cinéma du réalisateur
anglais : dépression, ultra-violence et humour noir serré jusqu'à l'absurde. Un
futur père un peu bipolaire sortant de prison tue un pote abruti à coups de
marteau pour la simple raison qu'il émet quelques doutes légitimes sur le fait
que l'enfant portée par sa femme soit véritablement le sien (Down Terrace)
; un homme torturé remercie son tortionnaire avant de se voir infliger les
coups qui le tueront lentement, chacun de ses remerciements (au nombre de
quatre) succédant à un noir soustrayant la violence brute du moment à notre
regard avant de la faire ressurgir crûment, étirant la scène de façon aussi
drôle que dérangeante (Kill List).
Touristes
! fait de ce mélange humour
noir/brutalité son fond scénaristique : deux amoureux, Tina et Chris (Alice
Lowe et Steve Oram, également scénaristes du film) passent leurs premières
vacances ensemble et partent en caravane dans la campagne anglaise, en prenant
soin de buter les impudents qui auraient le tort de gâcher leur vie, leurs
vacances et leur idylle. Les meurtres du film, rythmés par un montage filmique
et sonore à couper le souffle faisant montre d'un sens de la rupture magistral,
sont de grands moments de rire nerveux, du même type de ceux que l'on peut
entendre lors de certains enterrements. La scène du meurtre du conservateur du
site monolithique (celui-ci a eu le tort de verbaliser le jeune couple pour le
fait que le chien de Tina a déféqué au milieu des vestiges) est de ce point de
vue la meilleure scène du film. Chris commence par tabasser sa victime et se
met à la bastonner ; l'acte de violence est monté au ralenti, accompagné par
une musique emphatique, presque wagnérienne. Soudainement, tout s'arrête : plus
de ralenti, plus de musique. On croit la scène terminée, quand Chris se met à
fracasser la tête de sa victime déjà morte sur une pierre ; montée à vitesse
normale, rythmée par le son amplifié des chocs répétés du crâne sur le rocher
et par les invectives de Chris, la scène devient d'une brutalité effarante,
dont la gratuité aussi absurde que volontaire provoque un rire aussi franc que
glacé. Cette séquence donne le ton de ce qu'est le cinéma de Ben Wheatley : un
cinéma brutal et drôlement inconfortable.
Nous
n'avons pas encore parlé du troisième côté du triangle magique : la dépression.
Il s'agit peut-être du côté le plus important du cinéma de Ben Wheatley, celui
qui lui donne une profondeur insoupçonnée, celui sans lequel le travail de
l'Anglais passerait (certainement à raison) pour parfaitement vain. Wheatley se
révèle en effet au fil de ses films comme une sorte de cinéaste de la crise
humaine, scrutant avec un regard aussi décalé qu'aigu les mécanismes de
l'épuisement du sentiment, qu'il soit filial, amical ou amoureux. Down
Terrace, comédie noire et coenienne se déroulant quasi exclusivement entre
les murs étouffants d'un petit pavillon de banlieue anglaise, prend le prétexte
d'une intrigue de néo-noir (un père et son fils sortant de prison tentent de
débusquer la taupe qui les a faits enfermer) pour montrer, à coups
d'incompréhensions et d'humiliations verbales parfois très violentes, l'érosion
de la relation entre un homme incapable et ses parents qui ne lui en ont pas
laissé la chance. Sa famille est sinistrée, celle qu'il est sur le point de
fonder ne se construit pas sur de bonnes bases (la femme qui l'avait quitté
avant qu'il n'aille en prison revient enceinte et veut se marier avec lui sans
que l'on sache vraiment si l'enfant qu'elle attend est de lui...) ; cet
effondrement des repères mène irrémédiablement au grand nettoyage :
l'assassinat de tous les amis pour être sûr de tuer la fameuse taupe et
l'assassinat des parents pour être sûr de "tuer le père". Le fait que
la future femme participe à ce dernier forfait est significatif de l'esprit
noir et tordu du film : la destruction d'un modèle familial comme base pourrie à
la construction d'un nouveau modèle illusoire voué au désastre.
Kill
List, de manière beaucoup plus
souterraine, parle lui aussi de cette érosion menant au pire. Sans chercher à spoiler
le film de façon criminelle, Kill List aborde de front la notion de
crise conjugale et familiale, ceci de la première partie du film, explicite à
ce sujet, à son final sidérant lors duquel le personnage principal du film
règle ladite crise à sa façon. De même que le personnage de Down Terrace,
celui de Kill List est un personnage incontrôlable, tueur à gages sans
repères et sans travail depuis qu'il a échoué lors d'une mission précédente ;
en le remettant en selle, son meilleur ami fait évoluer cette crise personnelle
jusqu'à sa plus extrême limite. Le couple, la famille, l'amitié : tout devient
ici néfaste. Les amusements du début deviennent, à peine changés, les moyens
d'annihilation désespérée de la fin (les jeux de chiens fous avec son ami qui
se tranforment en vraie bagarre dans la seconde partie du film ; tout le
dernier tiers du long-métrage...). Que raconte Kill List sinon la chute
jusqu'au fond de l'abîme d'un homme auquel il ne reste plus rien ?
Touristes
! suit la même voie, décortiquant le
sentiment amoureux pourri de l'intérieur par les lâchetés et l'égocentrisme de
Chris, par la jalousie et le mal-être de Tina. La médiocrité de ces deux
personnages complètement braques est le carburant du moteur de leur
invraisemblable brutalité, Chris et Tina étant plus alliés pour le pire que
pour le meilleur. On peut trouver le film répétitif (à chaque étape son
meurtre), il est au contraire évolutif : chaque évènement du film amène à
accentuer le malaise au sein d'une relation de couple se détériorant à une
vitesse affolante, ceci jusqu'à un final surprenant que nous ne dévoilerons pas.
Toujours est-il que Touristes !, beaucoup plus subtil qu'il n'y paraît,
est moins un petit film trash prompt à réjouir les amateurs de cinéma
déviant qu'une véritable étude clinique de la vie de couple et de son
inévitable échec.
Ce troisième film est représentatif de l'ensemble du cinéma de Ben Wheatley : en apparence amusant jusque dans son extrême rudesse, il décortique cependant avec une certaine profondeur et avec un pessimisme flirtant avec le nihilisme les relations humaines sous toutes leurs formes, les observant avec suspicion en en faisant de dangereux instruments de mort. Les très beaux débuts de Ben Wheatley, surprenants, décalés et originaux en font l'un des plus grands espoirs du cinéma actuel. On attend la suite avec une impatience palpable.
Trois films marquants de la compétition
- Dans la famille "fils de", nous demandons Brandon Cronenberg ! Son premier long-métrage, Antiviral, est une jolie promesse pour son avenir artistique. Ce film dépeint un monde aseptisé dans lequel tout un chacun peut attraper les maux dont souffrent ses stars préférées ; vous voulez par exemple porter sur le bord droit de la lèvre l'herpès de Hannah Geist (Sarah Gidon, vue dernièrement dans le Cosmopolis de Cronenberg père) ? Pas de problème : une injection et hop !, le tour est joué. Syd March (Caleb Landry Jones, au jeu un peu limité), un employé de la clinique avec laquelle Hannah est sous contrat et qui est lui-même fasciné par l'actrice, s'injecte un virus mortel qu'elle a attrapé. Il court donc contre la montre pour savoir comment le virus a pu être transmis à son idole ainsi que pour sauver sa peau et celle de Hannah. Cette fable d'anticipation est avant tout morale, dissertant sur un monde où la star est simple icône s'affichant sur tous les murs et écrans possibles et imaginables, où l'idolâtrie prend des proportions aberrantes permettant la marchandisation à outrance des corps (le concept de l'injection de virus de stars), où l'objet adoré peut être littéralement cannibalisé. Cette idée de dévoration permet la plus belle idée du film, d'une violence symbolique assez puissante : une sorte de savant fou avec lequel Syd trafique clone de la viande de star à partir de cellules souches ; il vend donc à prix d'or à la même population que celle visitant la clinique de Syd de savoureux steaks de stars ! La mise en scène glaciale et clinique d'Antiviral évoque le THX 1138 de George Lucas (1971), son regard sur la dévoration des corps fait penser au Soleil Vert de Richard Fleischer (Soylent Green [1973]), sa fascination pour l'organicité porte la marque du cinéma de David Cronenberg... Non sans belles idées, agrémenté d'un humour tout droit sorti d'une chambre froide, Antiviral a pour seul tort de ne pas avoir assez de personnalité et de s'appuyer parfois un peu lourdement sur ses béquilles référentielles. Il n'empêche que si Brandon Cronenberg est encore loin de se faire un prénom, son premier film distille un trouble et un charme tenaces.
-
Autre premier film, Citadel de l'Irlandais Ciaran Foy est, lui,
véritablement impressionnant. Un jeune homme voit sa compagne enceinte se faire
agresser par un gang de jeunes encapuchés dans le couloir de son immeuble ; si
l'enfant naît, la jeune femme décède suite à ses blessures. L'agression a
transformé ce jeune homme en une boule de peur agoraphobique. Lorsque le gang
de jeunes enlève son enfant, il va devoir s'armer de courage et pénétrer leur
quartier général, la Citadelle, un barre d'immeuble désaffectée, celle-là même
où il habitait et où sa compagne s'est fait agresser... Tout, dans ce film,
épate : l'écriture implacable du scénario astucieux ; une mise en scène plaçant
la peur dans les moindres recoins du plan, dans le moindre reflet mat d'une
théière en aluminium ; le travail des acteurs, tous formidables (James Cosmo, incarnant
le rôle principal du jeune père terrifié, est une nouvelle tête phénoménale) ;
le gestion de l'espace dans la dernière partie du film située dans l'immeuble
désaffecté, travail spatial qui n'est pas sans évoquer (en mode mineur) le
récent et très impressionnant The Raid (Gareth Evans [2012]). Ciaran Foy
se révèle être un très grand metteur en scène de la terreur dissimulée dans le
quotidien le plus banal : un pas dans la rue, une chaîne de sécurité pendant le
long d'une porte, la traversée d'un tunnel, un bus manqué... Tout est prétexte
à générer une peur aussi diffuse qu'obsédante. Mais ce qui trouble le plus dans
Citadel est l'ambiguïté de son discours social ; en cherchant à penser
la question de la violence dans les cités insalubres, Ciaran Foy se fait
dérangeant, déclinant un discours à plusieurs niveaux particulièrement
audacieux, assez limite, voué à une volée de bois vert. S'il décrit assez
justement la violence des cités comme une peur sociale provoquée par la
pauvreté et la ghettoïsation et s'attaquant essentiellement à ceux qui ont
justement peur de cette violence, il s'avère que la seule solution proposée est
de faire disparaître cette violence par le feu en cramant la Citadelle
(déclinaison irlandaise du Kärcher sarkozyste d'antan ?). Le propos pourrait
être abject, il n'est que délicieusement ambigu : un prêtre (Aneurin Barnard)
se fait explorateur et chef des opérations incendiaires au sein de la
Citadelle, avant que l'on apprenne que l'homme de foi, ancien éducateur au sein
de la barre d'immeuble, est peut-être responsable de l'état de délabrement de
la population. Bien et Mal renvoyés dos à dos (on pense pas mal à L'Exorciste),
claustrophobie, peur paranoïaque de l'Autre et d'un extérieur dangereux (on
pense aussi à Bug), la notion de feu purificateur, l'ambiguïté d'un
discours politique sous-jacent qui passera pour réactionnaire : Ciaran Foy ne
serait-il pas un remarquable héritier de William Friedkin ? Rien que pour
cette raison, cet excellent Citadel enthousiasme.
-
Le meilleur film vu dans cette compétition est l'oeuvre du vétéran Koji
Wakamatsu. 11.25, the day he chose his own fate est une oeuvre d'une
intelligence redoutable, fonctionnant en doublette avec ce qui est certainement
le grand chef-d'oeuvre du cinéaste-poil à gratter japonais, l'éreintant United
Red Army (2009). 11.25... raconte les derniers jours de l'homme de
lettres Yukio Mishima, qui fut durant la fin de sa vie un ardent militant
nationaliste et impérialiste, qui prendra en otage un ministre du gouvernement
japonais avant de se suicider par hara-kiri dans le bureau du haut
fonctionnaire. Le nouveau film de Wakamatsu visite donc les milices
nationalistes après avoir précédemment observé l'Armée Rouge Unifiée, côté
communiste du spectre des groupes idéologiques clandestins du Japon
d'après-guerre. Le constat reste le même : l'ancien sympathisant communiste
qu'est Wakamatsu a bel et bien pris une distance avec l'idéologie
révolutionnaire, faisant de la notion même de révolution une pure vacuité.
Qu'est-ce que la révolution dans 11.25... ? Un simple dispositif oral,
une série ininterrompue de rituels dévitalisant la pensée profonde (les
cérémonies d'intronisation de chefs de milice), un inutile épuisement des corps
(les innombrables entraînements militaires de Mishima succédant aux corps boxés
et boursouflés de United Red Army ; le hara-kiri de Mishima, dont le
visage de douleur est longuement filmé pendant le suicide). Bien qu'opposés,
les nationalistes et les communistes sont donc logés à la même enseigne. Et
lorsque, enfin, Mishima et sa milice parviennent à séquestrer le ministre et
peuvent enfin parler à la foule, celle-ci s'en contrefiche ; le discours de
Mishima prononcé au balcon du bureau est inaudible, couvert par le brouhaha de
la foule et les hélicoptères de la police. Si la révolution passe par les mots,
il s'avère que les mots de l'engagement ne servent plus à rien. La scène, de
même que le film dans son ensemble, est traversée par une tristesse
désenchantée très émouvant.
11.25..., film très politique et assez ardu, n'a peut-être pas la maestria formelle de certains des autres films vus dans la compétition, mais la force de son discours et l'énorme personnalité de son auteur en font le film le plus passionnant vu pendant la dizaine de jours de l'Etrange Festival. Là se trouve la magie de ce rendez-vous annuel : faire se côtoyer un film politique japonais avec des polars islandais ou norvégiens, un film d'épouvante irlandais avec des classiques de la série B américaine, des films de zombies barrés avec le Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio (1983)... Faire voisiner des cinémas opposés dans leur style mais rassemblés par le fait même de leur caractère incongru et/ou subversif. C'est en cela que l'Etrange Festival, prenant une place prépondérante mais laissant au rebut toutes formes d'élitisme, est véritablement important. A l'année prochaine, donc !
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