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20.12.24
Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI
Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...
Lire la suite26.02.24
Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet
Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...
Lire la suite25.09.23
Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps
Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée.
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09.12.24
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On ne naît pas monstre, on le devient
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Elle et l’huis clos (2/3)
Réalisateur : Roman Polanski
Auteur : Youri Deschamps
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Avatar
(James Cameron, 2009)
Comment Avatar (2009) en tant que phénomène (commercial, esthétique, technique) a-t-il été possible ? Par la même alliance qui a si bien réussi à Titanic (1997) douze années auparavant : souvenez-vous de ce sublime fondu enchainé qui mêlait la carcasse rouillée du Titanic à son revêtement high-tech en image de synthèse – la 3D des années 90. Ce subtil alliage entre technique et esthétique, trucage et prise de vue réelle, réorchestré par James Cameron, structure toute l’histoire de la 3D au cinéma.
La 3D, un dispositif immersif
Le relief s’est véritablement démocratisé au cinéma à partir du moment où les trucages proscéniques se sont affinés. Ainsi, dès les années 1950, les maquettes et les décors pivotants en fausses perspectives des studios facilitent les prises de vue avec deux caméras 35 mm selon un écart angulaire de quinze degrés. Au moment de la projection, un miroir réfléchissant permet de mettre les images œil droit et œil gauche dans un même cadre. Les studios hollywoodiens sont alors prêts techniquement pour adopter la stéréoscopie afin de lutter contre l’émergence de la télévision dans les foyers américains en produisant entre 1953 et 1956 des dizaines de films stéréoscopiques. Parmi cette brève moisson à savourer chaussé de lunettes anaglyphes, Le Météore de la nuit (1953) de Jack Arnold se distingue assez nettement en suscitant l’intérêt du spectateur par deux effets : un effet de profondeur autorisé par les faux décors ; un effet de jaillissement expérimenté par les techniciens qui n’hésitent pas à balancer sur le public des blocs de mousse lors de la scène spectaculaire de la pluie de météorites [01].
Le relief ne convainc pourtant pas à cette époque, et seul le CinémaScope en 1954 parvient à charmer un nouveau public : vendu comme la 3D sans lunettes, il offre une vision périphérique satisfaisante. Après un premier désaveu hollywoodien (1953-1956), la 3D se replie pendant cinquante années dans les parcs à thèmes et les suites horrifiques peu inspirées (Meurtres en trois dimensions, Les dents de la Mer 3). Dans les années 2000, grâce à la démocratisation des écrans numériques, la 3D passe pour le spectateur habitué aux techniques hybrides (images de synthèse, prothèses, stop-motion) comme un simple revêtement supplémentaire : c’est l’avènement du spectaculaire système IMAX-3D, qui innerve tous les grands films hollywoodiens traditionnels ou d’animations. Si le questionnement technique semble avoir été résolu par la normalisation du système IMAX-3D à l’ensemble des salles, une tendance esthétique se dégagerait-elle de cette nouvelle pratique ? Deux voies, intrinsèquement liées au média, semblent intéresser le cinéma en relief ces deux dernières années (2009-2011) :
- Creuser l’effet de profondeur en questionnant l’immersion, en jouant sur la découverte d’un nouvel espace perceptif par le spectateur. Avatar (2009) de James Cameron en est pour l’instant le héraut, mais le principe peu connu de « la réalité augmentée », développé dans les parcs à thèmes, participe aussi de cette immersion spectatorielle.
- Creuser l’effet de jaillissement en questionnant le dispositif, en le rendant manifeste, et laisser le spectateur juge de cette nouvelle théâtralité. The Hole (2009) de Joe Dante représente cette veine foraine, bien que cette distanciation stéréoscopique ne se limite pas qu’au ludique, comme le prouvent les applications scientifiques de la photographie en relief (microscopie biologique, radiographies en 3D).
Ce questionnement sur le relief comme manifeste esthétique intervient à un moment phare : en 2011, personne ne peut prédire si la technique 3D va révolutionner le paysage hollywoodien… Après James Cameron (2009) et Tim Burton (2010), l’année 2011 verra Martin Scorsese et Steven Spielberg réajuster la stéréoscopie sur le modèle prédominant de la grammaire visuelle hollywoodienne : L’invention de Hugo Cabret sera l’occasion pour Martin Scorsese de revenir aux sources magiques du cinéma de Méliès ; Le Secret de la Licorne marquera la rencontre maintes fois reportée entre Steven Spielberg et le maître belge de la ligne claire. Malgré la démocratisation du relief aux écrans TV, aux retransmissions sportives et aux jeux vidéos, seul Avatar et Alice in Wonderland de Tim Burton restent les deux réussites esthétiques et commerciales de la 3D au cinéma, là où l’engourdissement gagne la majorité des films sortis sur les écrans en 2010, qui ne sont que de simples « kinescopages 3D » de paresseux blockbusters hollywoodiens (Le Choc des titans, Le Dernier maître de l’air, Piranha 3D). Sous l’impulsion d’Avatar, les films à grand spectacle en 3D semblent encore le seul recours de l’industrie hollywoodienne contre l’émiettement du marché de la salle au profit du flux internet, télévisuel et vidéoludique.
L’écosystème abyssal de Pandora
James Cameron a su renouveler le succès public et pyrotechnique de Titanic, en rendant le moment Avatar possible par la fusion en un même effort perspectiviste du relief et des images de synthèse. Avatar est la première pierre d’une trilogie stéréoscopique, se poursuivant avec Avatar 2 (Décembre 2014) et s’accomplissant en Avatar 3 (Décembre 2015). Le film de James Cameron dépasse en une aisance technique confondante le clivage du spectaculaire hollywoodien qui prévalait encore dans les années 1990 : le réel vs le virtuel – exemplairement avec Matrix (1999) de Larry et Andy Wachowski qui est le testament visuel de cette alliance entre images de synthèses et prises de vue réelles.
Au-delà de son scénario impérialiste, le film est conçu pour mettre en valeur les atouts plastiques de la planète Pandora. Ainsi, la première partie du film ne montre la planète qu’à travers la plateforme bétonnée des colons, et ce n’est qu’à la vingtième minute que nous est dévoilée sa véritable richesse : la forêt. Vierge, luxuriante, inextricable, cette forêt ne se contente pas uniquement de la faune tropicale de rigueur – des primates (les prolémuris), des pachydermes ruminants et des prédateurs carnivores, mais se confond bien souvent avec les profondeurs abyssales de nos océans. Des champignons en tubes miment ainsi les vers tubicoles Spirobranchus giganteus, se refermant brusquement lorsqu’on y touche [02]. Il est d’ailleurs piquant de penser que c’est dans un champignon qu’une telle métamorphose abyssale s’opère, forme de vie essentiellement hybride, ni tout à fait végétale, ni tout à fait animale : semblable à un ensemble de bactéries lors de sa genèse filamenteuse et blanche (le mycélium), le champignon se développe par la suite comme un végétal (spores, germination, fructification). Le végétal et l’animal se mêlent sans heurts dans l’écosystème de Pandora : l’ondulation d’organismes bioluminescents, les formations coralliennes ou l’étrangeté bleutée de la planète doivent beaucoup à l’intérêt de James Cameron pour la plongée sous-marine. Avec Avatar 2, James Cameron franchirait à nouveau la surface marine déjà explorée avec Abyss (1989) et le documentaire sous-marin Aliens of the abyss (2005) : le film serait en grande partie consacré au sous-sol aquatique de Pandora.
Rester l’autre ; devenir indigène
Avatar crée une rupture avec les anciennes techniques pérennisées par les blockbusters hollywoodiens : en ce sens, son héritage formel se rattache au Magicien d’Oz (1939) de Victor Fleming. La fracture entre le monde des humains et l’Autre Monde est comparable dans les deux films : Le Magicien d’Oz bascule du noir et blanc classique à l’éclatant Technicolor ; Avatar échafaude un va-et-vient constant entre le blockbuster métallisé des années 80 (la base militaire des colons) et la 3D luxuriante de Pandora (la forêt tropicale).
Mise à part cette référence au Magicien d’Oz, honnêtement digérée, le film ne brille cependant pas par sa nouveauté scénaristique, se limitant bien souvent à une compilation panthéiste. Souvent japonisantes, les références sont estampillées « Ghibli », proche du Princesse Mononoke (1997) d’Hayao Miyazaki lorsqu’il s’agit d’exploiter sans vergogne les richesses d’une forêt sacrée, mais aussi calée sur Pompoko (1994) d’Isao Takahata, notamment dans la revanche finale des animaux à l’encontre des exploitants forestiers ! Le film rend aussi hommage à la mythologie américaine, notamment en léguant aux indigènes Na’vis les problématiques des natifs amérindiens : la quête spirituelle initiée par Thoreau et Emerson, l’amour avec une sauvageonne, le génocide indien sont autant de thèmes partagés par Avatar, la légende de Pocahontas et Danse avec les loups (1993) de Kevin Costner. L’émerveillement du héros Jake Sully (Sam Worthington) face à Pandora, à son spiritualisme et à ses indigènes, s’inspire du film emblématique de Kevin Costner. Avatar est scindé en deux parties, qui épousent le point de vue du personnage : étudier l’autre (rester américain) ; être l’autre (devenir indigène). Mais là où le lieutenant John Dunbar (Kevin Costner) laisse longuement planer l’indécision, James Cameron tranche volontiers du coté des indigènes Na’vis, par la nécessité du héros à fusionner avec son avatar pour remplir sa mission de Marine (nécessité extérieure) et pour échapper à sa tétraplégie (nécessité intérieure). Ainsi, la base américaine, cause de tous les maux indigènes, essuie un traitement ironique, deux acteurs de talent se prêtant volontiers à la satire du colonialisme américain : Stephen Lang en Marine grisonnant, scarifié et gonflé à bloc ; Giovanni Ribisi en chef de projet minier, caricature du texan amoral.
Les séquences militaires de rigueur, dont raffole James Cameron, sont dignement prises en charge par Jake Sully, dont le sort est bien semblable à celui du spectateur de la salle de cinéma. Comme lui, Jake Sully s’avère être paralysé, condamné à rester cloué à son siège (une tétraplégie accidentelle). Comme lui, il doit se connecter à une autre réalité pour pouvoir vivre à nouveau, ressentir, déployer sa virtualité – d’où la belle séquence en montage alterné où aux pieds Na’vis de Jake Sully enfoncés dans la terre répond un sourire timide sur son visage humain endormi. A une perte physique irremplaçable, ses propres jambes de Marine, le projet scientifique Avatar propose à Jake Sully une « potentialité » débordante : manger, courir, sauter, dompter les animaux sauvages, tout comme un indigène. Vertige de la 3D en cet Avatar qui permet pendant un temps au héros de s’évader de l’infirmité physique qui le cloue au sol. Un « devenir-Na’vi » pourrait être pressenti : « Tous les voyages dits initiatiques comportent ces seuils et ces portes où le devenir lui-même devient, et où l’on change de devenir, suivant « les heures » du monde, les cercles d’un enfer ou les étapes d’un voyage qui font varier les échelles, les formes et les cris » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Minuit, 1980, p.305). Tout comme Jake Sully, le spectateur, cloué à son fauteuil de cinéma, momentanément privé de ses sens, n’aura d’autre perspective que d’activer ses seules fonctions encore en éveil, l’ouïe et l’œil, pour rester réceptif aux mondes virtuels proposés par Pandora la tridimensionelle.
Les heurts esthétiques
James Cameron se plaît à équilibrer la mise en scène immersive de la jungle tropicale et la morosité ambiante de la base militaire, goûtant peu aux effets de jaillissement permis par la 3D, excepté en quelques plans pénibles, dont celui où Giovanni Ribisi nous balance une balle de golf à la figure (à deux reprises !). En jouant sur la naïveté rousseauiste du bon sauvage (3D immersive de la jungle) contre le cynisme du colonialisme américain (à-plat de la mise en scène et effets documentaires heurtés), James Cameron remet en perspective son rapport intime à la technique cinématographique : des années 1980 (l’ère mécanique de Terminator et d’Aliens) aux années 2000 (l’ère numérique d’Avatar). Les années 1980 ressuscitent dans Avatar par les Marines qui utilisent des Méchas : Stephen Lang, dans son robot télécommandé, établit un parallèle frappant avec Aliens (1986). Le corps humain intégré à la machine est la grande obsession de la science-fiction hollywoodienne des années 80, dont James Cameron a représenté la tendance mainstream (Terminator, Aliens), là où David Cronenberg œuvrait avec la même thématique en auteur (Dead Ringers, The Fly). Deux thématiques technicistes hantent alors les films de genre dans les années 80 : l’apparente invincibilité de mécanismes perfectionnés et le désir profond de la mue de la chair humaine en quelque chose d’autre – le métal bien souvent, exemplairement dans Terminator (1984). James Cameron, à son aise sur le plan esthétique, se montre plus convaincant en théoricien de l’image qu’en rousseauiste transi, bien qu’aussi excellent metteur en scène de spectacle que naguère.
Le statut du spectateur
Avatar ne propose pas une critique de la technicité, mais comme son accomplissement par la voie biologique : transcendant la technicité métallique de sa base coloniale, le premier émoi spectatoriel offert par James Cameron est la découverte, sublime, bleutée, du corps indigène Na’vi (l’avatar de Jake Sully). James Cameron réfléchit à un personnage principal comme « machiniste », pour reprendre la belle opération de substitution suggérée par Beaumarchais dans la préface du Barbier de Séville : « Le genre d’une pièce, comme celui de tout autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en œuvre. Quant à moi, ne voulant faire, sur ce plan, qu’une pièce amusante et sans fatigue, une espèce d’imbroille, il m’a suffit que le machiniste au lieu d’être un noir scélérat, fût un drôle de garçon, un homme insouciant, qui rit également du succès et de la chute de ses entreprises, pour que l’ouvrage, loin de tourner en drame sérieux, devînt une comédie fort gaie » (in « Préface » du Barbier de Séville, Gallimard, page 22). C’est dire si, à l’exemple de Beaumarchais, l’acteur principal déteint sur le film en agissant en horloger : Jack Sully est acculé à un fauteuil, paralysé moteur qui se réfugie grâce au programme scientifique Avatar dans une toute-puissance virtuelle [03].
Cette interdépendance entre le héros et son modèle de synthèse est proche de l’esprit « Nerd » des jeux en réseaux MMORPG : le joueur doit lui aussi créer un double (dénommé avatar) et le faire évoluer au cours de la partie. Ce langage informatique innerve tout le film, et loin d’être l’apanage de la base militaire, il se retrouve aussi dans le monde indigène : le tsaheylu, ce lien qui est à la base de toute la spiritualité indigène, est aussi une notion biologique quantifiable pour les scientifiques. A ce titre, le docteur Augustine (Sigourney Weaver) s’émerveille d’une planète où les connexions entre végétaux sont plus complexes que celles du cerveau humain. Aussi, curieux site pour ces indigènes hostiles à toute technologie que cette plateforme divine nommée Eywa, lieu de communion avec les morts où des données mémorielles peuvent être téléchargées entre les Na’vis et des végétaux luminescents.
James Cameron laisse une vision bien pessimiste de ce nouveau spectateur de la salle 3D, proche du « geek » par sa morbidité autoscopique. Etonnamment, le déni de réalité semble sans appel chez James Cameron, et ce malgré le happy-end de rigueur où Jake Sully s’émancipe de son enveloppe humaine (gommant ainsi sa tétraplégie). Dans ce pessimisme foncier, quel statut pour le spectateur au sein du cinéma en relief ? A-t-il la possibilité de juger ce nouveau dispositif immersif ? Imprégné de la première leçon enseignée par les maîtres hollywoodiens (James Cameron, Tim Burton), le nouveau spectateur de la 3D ne sera pas indéfiniment confronté à l’option immersive ou foraine. Une dimension participative sera sans nul doute engagée dans les années à venir : nécessairement par les jeux vidéos (la 3DS de Nintendo), mais certainement aussi par les applications scientifiques de la photographie en relief (microscopie biologique, échographie 3D, modélisation d’écosystèmes en biologie expérimentale…) qui pourraient amener le spectateur vers une attitude plus réfléchie envers la stéréoscopie. Un travail de recherche s’impose au sein de ce nouveau cinéma 3D afin de reconnaître, d’identifier, de classer les principes techniques (les lunettes anaglyphes, les filtres polarisants), les effets perceptifs (profondeur, jaillissement), les stratégies de mise en scène (James Cameron, Tim Burton) et les nouveaux enjeux esthétiques (immersion, théâtralité).
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