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Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet
Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...
Lire la suite25.09.23
Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps
Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée.
Lire la suite02.12.22
Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER
John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...
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19.04.12
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Film : Le Locataire
Elle et l’huis clos (3/3)
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Film : Rosemary's Baby
Elle et l’huis clos (2/3)
Réalisateur : Roman Polanski
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Film : Répulsion
Elle et l’huis clos (1/3)
Réalisateur : Roman Polanski
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Le Locataire
(Roman Polanski, 1976)
Entreprise sur plus de dix ans et non formalisée comme telle, la « trilogie internationale des appartements » témoigne cependant d’une extraordinaire cohérence et concentre tout ce que la mise en scène de Roman Polanski possède de plus inventif et de plus inspiré. Soit deux ou trois ingrédients, guère plus, mais toujours densément investis : un personnage et un espace dramatiquement interdépendants et se constituant en des termes strictement cinématographiques, plan après plan, selon l’implacable nécessité d’un montage cristallin qui s’attache à rendre compte des soubresauts d’un état psychologique limite. À l’évidence, la mise en scène est souveraine et aucun des trois volets de la trilogie ne pourrait sur ce point être pris en défaut. Qu’il s’agisse de Répulsion (1965), de Rosemary’s Baby (1968) ou du Locataire (1976), chaque film pose et creuse les mêmes questions de cinéma avec une dynamique sans cesse renouvelée : comment la caméra peut-elle seule enregistrer les secousses d’une intimité accidentée ? Quelles opérations mettre en œuvre pour que le dedans se livre par le dehors et puisse ainsi lui procurer un accès ? Quelle solution homogène pour que « ce qui entoure » et « ce qui habite » viennent animer l’image d’un seul et même souffle ? Comment se jouer des frontières en les faisant délicatement dériver ? Le sentiment d’angoisse et d’oppression que génèrent les trois films de la trilogie des appartements résulte directement de cette problématique à laquelle Polanski sait répondre avec beaucoup d’efficacité. Les appartements de Londres, New York et Paris sont en effet soumis aux lois d’une géographie proprement fantastique, dont le tracé organise la superposition des intérieurs et de l’intériorité, et favorise la contamination entre espace local et espace mental.
« Je crois que je vais être maman »
Soustrait à la représentation dans Rosemary’s Baby, l’accouchement constitue le motif central du Locataire, volet parisien de la « trilogie internationale des appartements ». En effet, Le Locataire n’est rien moins que la chronique très particulière d’un accouchement douloureux : Trelkowsky (interprété par Polanski lui-même) va accoucher de ce qu’il est véritablement et qu’il s’est jusqu’alors toujours refusé à être, c’est-à-dire une femme.
Petit employé de bureau banalement ordinaire, Trelkowski est le type même du célibataire un peu gauche et empoté, timide et toujours plus ou moins embarrassé. Mais ce jour-là, sur les conseils d’un ami dit-il, il a décidé de prendre les devants et d’aller visiter un appartement pas encore vraiment vacant, puisque la locataire précédente, Simone Choule, n’est pas « tout à fait morte » de son suicide par défenestration. Appartement dont il prend pourtant rapidement possession – tout du moins le croit-il –, avant que ce dernier ne prenne définitivement possession de lui. Car à l’intérieur comme au-dedans (équation polanskienne), la tuyauterie fait beaucoup de bruit.
Polanski se fait ici portraitiste savoureux : tous les locataires de l’immeuble de Monsieur Zy (le propriétaire) concourent à dresser le tableau de la mesquinerie crasse, de l’hostilité diffuse et de la malveillance ordinaire. Trelkowski, nouvel arrivant, est sommé de se tenir à carreau (comme le lui signifie d’emblée la concierge qui le laisse à la porte de sa loge [01], où on le voit à travers un carreau de verre, comme serti, incrusté), épié qu’il est dans ses moindres faits et gestes par un voisinage suspicieux toujours aux aguets. L’immeuble parisien apparaît vite en effet comme un véritable organisme de censure, une « brigade des mœurs » prompte à remettre de l’ordre au moindre écart. Comme dans les deux autres volets, on comprend très tôt que l’espace physique fonctionne comme la projection d’instances psychiques ; ici, la suspicion permanente des voisins figure l’instance judiciaire du surmoi de Trelkowski, tandis que l’appartement de Simone Choule abrite le conflit identitaire, comme l’indique d’emblée la scène d’installation dans l’appartement de la mourante où Trelkowski n’a de cesse de tomber nez à nez avec son reflet dans les innombrables miroirs [02], vitres de fenêtres, surfaces réfléchissantes en tout genre et encadrements divers [03] dont regorge l’endroit. S’y ajoutent la verrière brisée [04] par le suicide de Simone Choule, la vue sur la cour intérieure qui donne sur les fenêtres des voisins et sur celle des toilettes [05] ; autant de particularités qui instituent l’appartement en véritable dispositif spéculaire, « studiolo » davantage que studio, c’est-à-dire l’endroit où va s’approfondir l’intimité et s’éprouver une liberté intérieure encore aliénée par les contraintes des comportements publics.
Corps et identité
Locataire, Trelkowski l’est doublement : de son appartement comme de son propre corps. L’embarras du personnage s’exprime en effet d’abord par ses attitudes et sa gestuelle constamment désynchronisées. Il ne sait jamais comment se tenir ni quoi faire de ses mains, de même que sa maladresse est avant tout physique. Lors de sa rencontre avec Stella (Isabelle Adjani) au chevet de Simone Choule, il lui cogne la tête en voulant l’aider à ramasser ses oranges ; plus tard, lorsqu’il invite la jeune femme à prendre un verre, il prétexte un coup de fil urgent pour pouvoir aller se soulager au toilettes ; dans la rue, peu après, il marche dans une crotte de chien ; au cinéma, devant un film de Bruce Lee (où tout se résume justement à la précision et aux prouesses corporelles du combattant), il tarde à trouver le geste idoine lorsque Stella lui caresse l’entrejambe. Et on pourrait multiplier les exemples. À chaque fois, la réponse de Trelkowski à telle ou telle sollicitation se trouve différée, décalée, comme s’il ne parvenait pas à « conduire » son propre corps. Lorsque Stella le ramène chez elle après la soirée passée chez l’un de ses amis, ils ne font pas l’amour parce que Trelkowski est trop soûl ! C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il (se) pose la question clé, celle qui résume tous les enjeux du film :
« à partir de quel moment précis n’importe quel individu s’arrête-t-il d’être ce qu’il croit être ? […] On me coupe un bras, je dis « moi et mon bras » ; on me coupe l’autre bras, je dis « moi et mes deux bras » ; on me retire mon estomac et mes reins – supposons que ce soit possible –, je dis « moi et mes intestins »… Tu me suis ? Maintenant, on me coupe ma tête, qu’est-ce que je dis ? « Moi et ma tête » ou « moi et mon corps » ? De quel droit ma tête s’arroge-t-elle le titre de moi, hein ? »
La dialectique corps/identité est en effet le sujet même du Locataire. L’histoire de Trelkowski est celle d’un être tombé dans un corps et qui s’en tire comme il peut, malgré la mésalliance. L’histoire d’un corps étranger, comme le lui signifient constamment les autres locataires de l’immeuble et les commerçants du quartier ; d’un corps sexuellement ambigu, « LOUCHE », mais échoué finalement à la bonne adresse : l’appartement de feue Simone « CHOULE » – car, comme on l’a vu dans les deux volets précédents, la ronde anagrammatique des signifiants tutoie assez familièrement l’inconscient. En témoignent ici également les différents « lapsus » du personnage, tous orientés dans la même direction. Ainsi, au début du film, lorsque Trelkowski se rend à l’hôpital pour s’assurer de l’état de Simone Choule (afin de ne pas payer la caution de l’appartement pour rien !), il demande son chemin à une infirmière en usant d’une formule qui trahit ses intentions : « Peut-on visit… visit… », sans toutefois achever sa phrase, lui préférant un « Mlle Choule ? s’il vous plaît », beaucoup plus neutre et surtout beaucoup moins éloquent. En effet, on « visite un malade » comme on visite un appartement (assimilation de la personne à l’espace), surtout dans le cas de Trelkowski. Plus tard, alors que Stella souhaite finir la soirée chez lui, Trelkowski fait diversion en prétextant des travaux de peinture : « l’appartement est un fautoir…, un foutoir », se reprend-t-il. Un « fautoir », car ce dont l’accuse Monsieur Zy (« Vous avez amené une femme chez vous, inutile de le nier ! ») tend finalement à se vérifier davantage à mesure que le locataire apprivoise son nouvel intérieur, ceci alors même qu’aucune autre femme que Simone Choule n’a jamais pénétré dans l’appartement.
Métamorphose
Au moment où l’accusation est lancée, elle ne manque pas de piquant, car ce sont exclusivement des hommes qui manifestent en effet quelque intérêt pour Trelkowski : d’abord le jeune homme du cinéma (qui l’observe et le suit), puis Badard (Rufus) dont la tournée des bars qu’ils font ensemble s’achève par un baiser sur la bouche [06], et ensuite l’un des amis de Stella (qui le drague ouvertement). Stella semble être l’exception qui vient confirmer la règle dans la mesure où elle lui indique à plusieurs reprises que ses relations avec Simone étaient bien plus qu’amicales (« Vous savez bien qu’elle n’aimait pas les hommes », lui déclare-t-elle). D’ailleurs, plus Trelkowski est proche de Stella, plus il se rapproche de Simone Choule : il porte ses vêtements, utilise son nécessaire à maquillage, achète une perruque et des chaussures à talons [07], puis saute lui aussi par la fenêtre et brise la verrière en s’y reprenant à deux fois. Sous les yeux avides des habitants de l’immeuble, Trelkowski le locataire finit travesti et loque à terre. Mais du point de vue du personnage, il s’agit sans doute moins d’un suicide que d’une seconde naissance, dans un autre corps, le fruit de son passage dans les « toilettes sarcophage » tapissées de hiéroglyphes [08], lieu symbolique de la transformation des forces vitales et de la métamorphose (1). C’est ce que donne à voir la fin du film, qui reprend la scène de la visite à l’hôpital, mais en inversant le point de vue : c’est Trelkowski (devenu femme) qui est à la place de la blessée recouverte de bandelettes du début [11], et qui se revoit dans son corps d’avant aux côtés de Stella. Comme la scène dans son ensemble, le cri de la momie change de statut et l’augural hurlement à la mort se transforme en cri primal.
Trois villes, trois appartements, trois personnages en crise, trois capitales de la douleur en somme. Trois lieux du corps aussi : une tête folle (Répulsion), un ventre possédé (Rosemary’s Baby), un sexe transformé (Le Locataire). Trois espèces d’espaces non enregistrés au cadastre de quelque administration du regard, mais qui forment au contraire une vue plongeante et singulière sur l’infini du dedans, saisi dans un périmètre expérimental à géométrie inspirée. La « claustrophilie » polanskienne ne s’est sans doute jamais aussi brillamment manifestée que dans la trilogie internationale des appartements, dont chaque volet explore les virtualités d’un espace réduit ouvrant à des territoires finalement fort peu fréquentés par le cinéma, car hostiles à l’approximation.
Lire la première partie : Elle et l'huis clos 1/3 : Répulsion (Roman Polanski, 1965)
Lire la deuxième partie : Elle et l'huis clos 2/3 : Rosemary's Baby (Roman Polanski, 1968)
(1) Plusieurs signes préludent à la découverte de cet endroit « sarcophage » : les dessins égyptiens retrouvés dans les papiers de Simone, le livre lui ayant appartenu qu’un ami de Stella lui remet : Le Roman de la momie de Théophile Gautier [09], et la carte postale que Badard lui envoie depuis la salle égyptienne du Louvre [10].
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