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20.12.24

Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI

Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...

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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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Freaks Tod Browning

Freaks - On ne naît pas monstre, on le devient
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Critique : Démineurs  

Démineurs
(Kathryn Bigelow, 2009)

La guerre est une drogue

par Michaël Delavaud le 07.01.11

Il y avait fort longtemps que nous n'avions pas entendu parler de Kathryn Bigelow, réalisatrice d'Aux Frontières de l'Aube (Near Dark [1987]), de Blue Steel (1990), de Point Break (1991) ou de Strange Days (1995), reine incontestée (peut-être parce que la seule femme...) d'un certain cinéma d'action à l'américaine, alliant le muscle à une élégance indéniable. En fait, nous n'en avions pas entendu parler depuis 2002 et K-19, le Piège des Profondeurs (K-19, The Widow Maker), film de sous-marin aussi réussi que passé inaperçu.

Bigelow revient donc après sept années de relatif oubli et, l'air de rien, frappe un très grand coup. En effet, Démineurs (The Hurt Locker) est une oeuvre soufflante, ressemblant moins à une pure série B de guerre qu'à un vrai film théorique sur la Guerre, au même titre que l'étaient Full Metal Jacket de Kubrick (1987) ou encore plus récemment Flandres de Bruno Dumont (2006). Derrière sa façade d'action movie simplement divertissant et d'excellente qualité se dissimule donc un petit chef-d'oeuvre d'une profondeur insoupçonnée et d'une beauté renversante.

La séquence d'ouverture de Démineurs, anthologique, donne au film son intonation et son rythme, installe cette mise en scène de la menace qui pesera constamment sur le film de Bigelow comme une chape de plomb. Le film raconte le quotidien d'une équipe de déminage américaine en exercice sur le conflit irakien ; cette première scène décrit donc une situation qui leur est toute quotidienne : la découverte d'une bombe artisanale et la tentative de désarmorçage. Kathryn Bigelow filme la séquence comme une succession de temps morts (exclamations vertes et stériles des soldats à la découverte de l'engin explosif ; avarie du chariot permettant de ramener la bombe sans danger...), dilate le temps et alourdit le rythme de façon étonnante eu égard au sujet de la scène (la lenteur du robot télécommandé permettant le désamorçage à distance, le caractère pataud du soldat dans son scaphandre vs. l'urgence qu'implique le travail des soldats). En contrepoint de ce semblant de léthargie, Bigelow inclut des plans, très brefs, d'une population irakienne observant les faits et gestes des Américains depuis les toits, surplombant la scène, littéralement aux aguets. Ces courtes prises de vue, utilisées dans toutes les scènes de déminage du film, ont une efficacité anxiogène redoutable, signifiant une menace potentielle omniprésente, terrée et prête à surgir à tout instant. C'est la prise de conscience de ce danger qui permet au film d'accélérer subitement son rythme, à l'extrême, jusqu'à la tachycardie due à une paranoïa soudaine (un Irakien vient parler avec un soldat méfiant, servant de diversion au véritable terroriste). L'explosion de la bombe, entraînant celle, foudroyante, de la menace palpable dans toute la séquence, entraîne un certain flottement, symbolisé par la couche de sable s'élevant au ralenti suite à la déflagration.

Parfaitement découpée, gérant le temps avec une maestria terrible, cette séquence est symptomatique de ce que sera tout le film : une suite ininterrompue de changements de rythme, alternant les scènes d'une intensité infernale et les moments de creux et d'attente. En cela, le carton ouvrant le film ("La guerre est une drogue") n'est pas anodin ; le rythme du film est clairement influencé par les sensations de ces "drogués" de soldats : sensation de vide et de manque (le désespoir quasi suicidaire des soldats lors des scènes de discussion), brusque montée "euphorique" (les scènes de désamorçage) et descente dévastatrice provoquant une sensation de vide et de manque encore plus intense (explosions criminelles de certaines bombes ou mines).

Là se trouve l'aspect théorique de Démineurs, qui ne parle pas tant de la guerre en Irak (ce côté-ci du film est d'ailleurs assez inintéressant et caricatural) que de la Guerre en tant que notion engendrant conjointement dépendance et destruction de l'Humain. En cela, le personnage du Sergent James (Jeremy Renner, acteur mêlant la puissance physique brute d'un Michael Chiklis et la virilité érotique d'un Daniel Craig) est le pivot du film. Remplaçant au pied levé le sergent tué par l'explosion de la scène d'ouverture, James est d'abord décrit comme une tête brûlée irresponsable, risquant autant sa vie que celle de ses compagnons ; puis, au fur et à mesure, sa témérité est montrée comme le symptôme saillant de ses failles d'homme meurtri par les traumatismes d'une guerre brutalement mortifère. Lors d'un désamorçage particulièrement périlleux, l'un de ses collègues lui dit : "N'y va pas, c'est du suicide !". Bien vu de sa part : la démarche de James n'est-elle pas celle des suicidaires ? De ceux qui veulent se soustraire au monde qui les détruit et les désespère mais qui semble pourtant tout pour eux ? En cela, le personnage de James est une clé, l'incarnation de l'idée maîtresse de Démineurs selon laquelle la guerre transforme ses soldats en drogués suicidaires et à la clarté d'esprit douteuse. D'ailleurs, lorsque James regagne ses pénates, lorsqu'il se sèvre de la guerre, il ne met pas longtemps à littéralement "replonger", s'engageant désespérément pour un nouveau cycle d'un an de déchéance...

Visuellement, cette perte de repères est marquée par la manière avec laquelle Bigelow capture l'espace filmique. L'Irak est ici montrée dans toute sa dimension minérale, tellurique, le chromatisme insistant sur les couleurs sable et ocre saturées de lumière, faisant ainsi se fondre dans le décor les soldats américains aux tenues beiges. La mise en scène de Démineurs vise à l'effacement des lignes et à l'abstraction.

Comme l'écrit Pascal Bonitzer, "le comble du labyrinthe, c'est le désert, comme le comble de l'enchevêtrement des traits, c'est la page blanche". Pendant une grande partie de son film, Kathryn Bigelow perd ses personnages et ses spectateurs dans un dédale de petites rues irakiennes, où le danger peut venir soudainement de n'importe quel endroit, parfois même de l'intérieur même du champ (l'explosion du psychologue militaire). Lors de ces scènes, Bigelow fait penser à un metteur en scène comme Walter Hill, enfermant ses soldats dans un espace pour le moins hostile, sur lequel ils n'ont aucune emprise et dans lequel le danger se trouve dans chaque recoin du cadre.

Mais, pour reprendre Bonitzer, le "comble" de cette perte de repères et du danger qui l'accompagne est bel et bien le désert, comme le montre la fabuleuse séquence de l'embuscade. Les démineurs, en plein désert, se font dézinguer un à un par un ennemi inconnu et invisible, justement dissimulé dans ce que Bonitzer appelle "l'enchevêtrement des traits". Littéralement, les tirs ennemis ne viennent de nulle part, donc semblent venir de partout. Dans un mouvement de panique, les Américains ripostent en mitraillant abondamment dans toutes les directions ; en retour, ils se font tuer en une balle. Ici, de façon claire, le mouvement sensible est pure dépense, dominé par un effacement des signes, par une disparition du sensible, donc du réel. Pour vaincre l'ennemi, les membres de l'équipe de déminage, s'improvisant snipers, devront inverser le rapport de force : se fondre dans le décor en attendant le mouvement des assaillants, attendre le retour des assaillants dans un monde sensible dont eux-mêmes se seront progressivement évanouis, en devenant eux-mêmes invisibles et abstraits, d'une certaine manière en se soustrayant eux-mêmes du monde réel, jusqu'à une perte totale de la notion d'espace et de temps (ils resteront jusqu'à la nuit à traquer des ennemis décimés depuis longtemps). Oui, la guerre est bel et bien une drogue, un chemin vers l'aliénation totale et vers une perte de repères spatio-temporelles que symbolise superbement et finement la mise en scène d'une cinéaste en pleine possession de ses moyens.

Situé au carrefour du divertissement ludico-anxiogène à la Walter Hill, du film de genre roublard faussement documentaire à la Paul Greengrass (dont nous attendons prochainement un film sur la green zone bagdadie...) et du film-cerveau kubrickien, Démineurs, plus que d'être le meilleur film de Kathryn Bigelow, est une véritable oeuvre-référence, d'ores et déjà condamnée à être sous-estimée et considérée comme un Irak movie de plus. Coup de maîtresse.

Michaël Delavaud

 

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