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20.12.24

Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI

Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...

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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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Freaks Tod Browning

Freaks - On ne naît pas monstre, on le devient
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Critique : Ha Ha Ha  

Ha Ha Ha
(Hong Sang-soo, 2011)

Redessiner la Carte du Tendre

par Michaël Delavaud le 08.04.11

Il est des cinéastes (Rohmer, Ozu, Naruse...) qui semblent refaire sempiternellement le même film, non pas par paresse mais au contraire par fidélité à leur vision personnelle du monde et de l'art cinématographique. Chacune de leurs œuvres peut être comparée aux multiples touches d'une toile impressionniste, à la fois individualités esthétiques valant pour elles-mêmes et simples éléments d'un ensemble qui les transcende en les fusionnant. Le Coréen Hong Sang-soo fait sans conteste partie de cette famille de cinéastes « impressionnistes » (il en est d'ailleurs aujourd'hui l'un des seuls membres vivants), et son nouveau film Ha Ha Ha (2011) est un magnifique coup de pinceau supplémentaire sur sa peinture des stratégies amoureuses modernes, entamée il y a quinze ans avec Le Jour où le cochon est tombé dans le puits (1996).

 

Deux amis, un réalisateur et un critique de cinéma (types de personnages récurrents chez Hong, très proches de lui), se retrouvent avant le probable départ du premier pour le Canada. Ils se racontent l'un l'autre, en alternance, leur dernière histoire sentimentale, récits ponctués par les nombreux verres de soju qu'ils consomment au fil du film. Et de se rendre compte que les deux récits s'emboîtent parfaitement l'un dans l'autre, les deux hommes ayant côtoyé les mêmes lieux et les mêmes personnes, ceci sans jamais se croiser. On retrouve dans le film toute la petite musique de Hong Sang-soo : une tonalité douce-amère, à la fois cruelle et tendre, et mâtinée d'une absurdité naviguant entre le loufoque et le malaise ; un entrelacs narratif propre à définir les tergiversations sentimentales de personnages se cognant les uns aux autres ou se frôlant sans s'en rendre compte ; une mise en scène privilégiant les plans fixes afin de capter de longues plages de dialogues ou d'intenses moments de silence (Hong est l'un de ces cinéastes chez lesquels le silence est un dialogue) et donnant une importance grandissante aux zooms. Systématique depuis quelques titres (de mémoire, depuis ce qui est à ce jour son grand chef-d'oeuvre, Woman on the beach [2006]), le zoom, effet formel pour le moins trivial, a chez lui des vertus hitchcockiennes, focalisant le regard du spectateur sur un élément (un visage, un élément de décor à l'arrière-plan...) auquel il offre littéralement le cadre alors même qu'il rejette hors-champ tout ce qui semblait jusqu'alors de prime importance. La simplicité apparente du dispositif formel (fixité de plans tirés au cordeau) n'est là que pour être viciée, déstabilisée, salie. Tel est le talent de Hong, formaliste hors pair et grand narrateur : dévoiler la complexité se dissimulant derrière la simplicité. Faire d'une série d'intrigues amoureuses banales une dentelle narrative finement ouvragée. Oser la trivialité en donnant une place prépondérante au détail parfois peu aimable dans un cadre peut-être trop propre. Pointer la tache, la trace entrant dans la composition du tout, en bon impressionniste...

 

En cela, Ha Ha Ha est dans la parfaite continuité des œuvres précédentes de Hong. Pourtant, ce nouveau film se démarque du reste de la filmographie, en ceci qu'il s'inscrit subtilement dans le registre de la fable, du conte nostalgique. Le dispositif formel créé par Hong participe de cette nostalgie, figeant le présent (les deux gars contant leurs histoires en trinquant) dans la fixité de la photographie en noir et blanc et réanimant le passé (lesdites histoires) dans l'image en mouvement et l'usage de la couleur. Cette renaissance du passé peut s'avérer extrême, comme lorsque le personnage du réalisateur rencontre un soldat mythique de l'Histoire médiévale coréenne et converse avec lui sur un banc public, cherchant à se faire prodiguer d'importants conseils afin de mener la barque de sa vie dans les bons courants. La scène, onirique, se permet à la fois de faire cohabiter deux temporalités esthétiquement distinctes (la divergence de costumes des deux interlocuteurs, qui place la séquence aux limites du surréalisme) et d'enchâsser un passé (médiéval) dans un autre (l'histoire racontée par le réalisateur). Faire revivre le passé par le verbe, telle pourrait être la définition du mythe.

 

Dans Ha Ha Ha, le vrai mythe, c'est la relation amoureuse et les rapports empreints de douleur et de cruauté entre les hommes (généralement naïfs, égoïstes et/ou maladroits) et les femmes (généralement intelligentes et subissant les indécisions masculines), synthétisés dans les histoires des deux buveurs. La structure narrative du film, alternant constamment une histoire avec l'autre, ressemble à une sorte d'habile work in progress, donnant l'impression que le second locuteur ne pourra continuer son récit qu'en le mettant en interaction avec celui du premier, et inversement. Chacune des séries de photogrammes fixes en noir et blanc est une étape de cette logique narrative, un passage de témoin auquel aucun des deux personnages ne peut se soustraire (l'un d'eux dit à l'autre, qui veut connaître la suite de son histoire : « Non, on verra la suite plus tard, c'est ton tour »). Cela peut sembler lourdement systématique, c'est pourtant essentiel pour cerner Ha Ha Ha dans ce qu'il est : une mythologisation du sentiment moderne.

 

Chacune des deux histoires (l'amour inconditionnel du réalisateur pour une guide touristique amoureuse d'un autre garçon ; la valse-hésitation du critique quant à sa relation avec sa petite amie), littéralement tronçonnée par le dispositif narratif, ressemble à une pure fiction inventée au fil du récit, à un petit conte philosophique redessinant la Carte du Tendre. C'est en cela que le nouveau Hong Sang-soo est réussi : s'il semble ressasser son cinéma, jamais le Coréen ne fait le même film, ses réalisations évoluent toujours malgré une apparence de similarité. Et Ha Ha Ha, grâce à ses allures de mythe, fait évoluer le cinéma de Hong vers une sorte d'universalité que l’auteur n'avait pas encore véritablement atteinte, ce qui dote le film d'une justesse indéniable. La fable est ici aussi amusante que triste, absurde (la jeune fille scellant une rupture amoureuse en faisant monter l'homme sur son dos), sans conséquence (les deux interlocuteurs se séparent abruptement en se remerciant pour le récit qu'ils se sont mutuellement racontés). Mais elle laisse le spectateur dans un état très particulier, dans une douceur et une douleur ouatées, le cœur à la fois gros et léger, comme gonflé à l'hélium. Et de constater que le cinéma de Hong Sang-soo, dont Ha Ha Ha est une pièce maîtresse, sentimental mais exempt de tout sentimentalisme, est le seul à donner résolument envie d'être amoureux. Cinéaste essentiel.

 

Michaël Delavaud

 

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