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20.12.24

Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI

Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...

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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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Freaks Tod Browning

Freaks - On ne naît pas monstre, on le devient
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Critique : I Love You Phillip Morris  

I Love You Phillip Morris
(Glenn Ficarra / John Requa, 2010)

Pique et coeur

par Michaël Delavaud le 07.01.11

A priori, I Love You Phillip Morris suscitait autant d'impatience que d'appréhension. De l'impatience car, d'une part, il s'agit de la nouvelle apparition de Jim Carrey et, d'autre part, le sujet du film (l'histoire "vraie de vraie", comme le souligne humoristiquement le générique de début, de la vie de Steven Russell, flic et père de famille devenu escroc de grand talent et homosexuel par la grâce d'un violent accident de voiture) permettait d'espérer de cet ogre d'acteur une variété d'interprétations enthousiasmante. De l'appréhension parce que ce film est la première réalisation de John Requa et Glenn Ficarra, paire de scénaristes ayant auparavant écrit Bad Santa (Terry Zwigoff [2004]), film aussi sympathique qu'inconsistant, saturé par une ironie gratuite et par une fausse provocation un peu bouche-trou, misant sur le talent fou de Billy Bob Thornton.

On attendait à peu près la même chose de I Love You Phillip Morris : une oeuvre qui se regarderait sans ennui mais qui ne tiendrait debout que par l'abattage de son acteur principal. Les craintes sont vite dissipées : ce film est à la fois la confirmation du talent protéiforme de Jim Carrey (très bien accompagné ici par Ewan McGregor, nous en reparlons de suite) ainsi qu'un exemple de finesse quant à la représentation de la passion homosexuelle. Sans exagérer, le film de Requa et Ficarra est à ce sujet une véritable avancée.

Généralement, il y a deux manières d'aborder l'homosexualité à l'écran, aussi caricaturales l'une que l'autre. La première consiste à faire du personnage homosexuel un être en souffrance. Rejet d'une société rétrograde, discriminations, MST mortifères... : l'homosexualité semble alors déterminer une sorte de terrible malédiction. Sous couvert de susciter une forme d'empathie, cette approche provoque une victimisation et un réflexe compassionnel particulièrement hypocrite et insupportable, déclenchant une discrimination inversée : en tentant de pointer l'intolérance, on verrouille l'homosexualité dans une autre caricature rancie. L'exemple type de cette représentation est bien sûr le Philadelphia de Jonathan Demme (1993), mais il y en a d'autres.

La seconde approche est celle faisant du personnage homosexuel une exubérance vivante, se travestissant, s'efféminant et/ou dansant dans les boîtes gay en tripotant les fesses d'un autre nightclubber ravi. Bien sûr, ce type de représentation tourne la notion d'homosexualité en ridicule, l'ancrant dans une sorte d'anormalité pour le moins réductrice. Les titres de ces films spécimens sont eux-mêmes des stéréotypes, insultants de façon programmatique : La Cage aux Folles (Edouard Molinaro [1973]), Pédale Douce (Gabriel Aghion [1996]), Personne n'est parfait(e) (Joel Schumacher [2000])...

La force de I Love You Phillip Morris est le détournement de ces approches malheureuses. Et le détournement est ici d'autant plus risqué qu'il consiste à utiliser tous ces clichés pour finalement les retourner comme un gant et en montrer le ridicule. Car en effet, le film ne se prive pas de montrer Steven Russell comme un personnage moulé dans des fringues multicolores et promenant ses petits chiens en compagnie de son homme dans un décor clinquant jusqu'au kitsch ; il ne se prive pas de montrer l'escroc dévoré par le sida. En gros, il ne se prive pas d'être lui aussi ultra caricatural. Mais dans ce film, tout se dévoile en deux temps, tout endroit possède son envers. Si Russell ressemble au stéréotype de l'homosexuel bariolé et excentrique, il est apte en deux temps trois mouvements à se faire passer pour un avocat tiré à quatre épingles ou pour le directeur financier d'une grande firme. Si le personnage semble être séropositif, il s'avère finalement qu'il ne s'agit que d'une manipulation cynique.

Ressembler, sembler : une part de l'intérêt du film se trouve ici. Comme la notion de stéréotype, le personnage de Steven Russell n'est qu'une surface, une apparence dissimulant la réalité, une intoxication. Cette réflexivité très particulière mettant en relation leur personnage d'escroc et son système de représentation est très habile de la part de Requa et Ficcara, leur permettant de mettre à mal toutes les conventions iconographiques et de désamorcer toutes les tentatives de manipulation intellectuelle. Un exemple, frappant : en vacances dans un petit paradis caribéen, Steven Russell et son nouvel amant Phillip Morris s'embrasse sous les palmiers sur un fond de soleil couchant de carte postale. Rien que de très attendu, à l'exception du fait que ce type de représentation à la guimauve est usuellement typiquement hétérosexuelle ; de mémoire, jamais une histoire d'amour homosexuelle n'a eu droit à ce type d'images classiques jusqu'à la naïveté. Ce plan d'embrassades ensoleillées est symptomatique du tour de force qu'effectue le film : utiliser le stéréotype (homo ou hétéro) pour le détourner ou le dévitaliser, ceci afin de créer un égalitarisme total. De ce point de vue, I Love You Phillip Morris apparaît comme un film plutôt novateur.

Le film devient encore plus subtil lorsqu'on se penche sur son autre versant, celui d'un cinéma d'escroquerie de type Arrête-moi si tu peux (Steven Spielberg [2003]), auquel le film de Requa et Ficcara fait inévitablement penser. Comme tous les escrocs dignes de ce nom, Steven Russell est avant tout un acteur, quittant un costume pour un autre afin de créer un rideau de fumée entre lui et ses interlocuteurs, afin de les tromper et/ou de les voler. Tout fait costume : ses vêtements (des tenues queer aux complets), ses fausses identités, ses professions "fictives", sa vie précédant le coming out (son ménage, son métier de flic...). Et de se rendre compte que son homosexualité est aussi une comédie, un moyen d'arnaquer à la fois ce Phillip Morris qu'il hurle aimer (c'est même le titre du film) et le spectateur du film, de façon parfois aussi diabolique qu'un dispositif de De Palma (la magistrale séquence de la fausse séropositivité). La vie entière du personnage est un jeu, et ce jeu est un feu qui se nourrit de tout bois. De fait, l'homosexualité de l'escroc Steven Russell, aspect parmi d'autres du personnage, cesse d'être un sujet. Cela n'a l'air de rien mais c'est peut-être plus particulièrement ici que le film est une formidable avancée : faire de ce que d'aucuns considèrent comme une marginalité une normalité absolue, soluble dans l'histoire racontée et dans le personnage. De ce point de vue, I love you Phillip Morris semble étonnamment proche de l'approche décomplexée de l'homosexualité jusqu'ici malheureusement unique d'Alain Guiraudie.

Reste à évoquer le cas Jim Carrey, acteur phénoménal qui trouve ici son plus beau rôle depuis le Man on the Moon de Milos Forman (2000). Il n'est finalement pas si étonnant de voir Carrey aussi fabuleux dans le film de Requa et Ficcara que chez le cinéaste tchèque, étant donné la gémellité troublante et flagrante de Steven Russell et d'Andy Kaufman. Dans les deux cas, l'acteur canadien incarne jusqu'au vertige des comédiens qui font de leur propre vie leur scène de théâtre, une sorte de happening continuel, des personnages habités dès l'enfance par une imagination particulièrement pointue (les spectacles domestiques de Kaufman, donnés devant un public imaginaire puis devant sa petite soeur ravie [Man on the Moon] ; les visions péniennes, farfelues mais contagieuses, lors de l'observation de nuages cotonneux [I Love You Phillip Morris]). La déjà fameuse séquence de fausse séropositivité est, en soi, digne des canulars merveilleusement provocateurs d'Andy Kaufman, rejoignant une séquence du film de Forman en l'inversant : si tout le monde croit voir un énième canular dans le cancer de Kaufman, personne ne voit un énième canular dans la séropositivité de Russell. Quoiqu'il en soit, les deux personnages, par la multiplicité schizophrène de leurs facettes, par leur impossibilité de se défaire de leur condition de comédien manipulateur (qu'ils soient crus ou non, ils sont condamnés à tromper continuellement leur monde), sont clairement des doubles.

La prestation de Carrey dans I Love You Phillip Morris ressemble à une sorte de synthèse de la carrière de l'acteur. Si le personnage de Steven Russell lui permet une nouvelle fois d'incarner un personnage protéiforme dont le Kaufman de Forman est une sorte de parangon (il est intéressant de voir à quel point la carrière de Jim Carrey est presque intégralement composée de personnages duaux), il lui permet aussi de mêler un burlesque déjanté qu'il n'a jamais vraiment abandonné avec une recherche émotionnelle déjà expérimentée de façon très convaincante chez Michel Gondry ou Joel Schumacher. A l'instar de son personnage, Carrey est un génie multiple, ce qui en fait l'un des trois-quatre meilleurs acteurs contemporains.

Ce talent est d'autant plus éclatant qu'il est couplé avec la belle sobriété de jeu de son partenaire, Ewan McGregor qui interprète le Phillip Morris du titre et qui n'a certainement jamais été aussi bon. Précis et sensible, il est à la fois le vecteur d'émotions de I Love You Phillip Morris (la superbe scène durant laquelle Phillip suit son amant en train d'être transféré d'une prison à une autre, rappelant le célèbre et poignant finale du Lauréat de Mike Nichols [1967]) ainsi qu'une sorte de fusible canalisant la dépense énergique continuelle de Carrey. La parfaite osmose entre ces deux comédiens symbolise parfaitement ce qu'est ce film atypique : un mélange de sobriété rigoureuse et d'explosivité iconoclaste, se bouleversant, s'influençant incessamment l'une l'autre. En résulte une oeuvre enthousiasmante, un très joli film romantique à la fois drôle, intelligent, touchant et d'une audace salutaire. N'en déplaise aux producteurs américains ayant refusé de financer le film, I Love You Phillip Morris mériterait de faire un tabac.

Michaël Delavaud

 

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