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23.01.25
Info parution : "De Palma, Mana, Cinéma. L'Impasse (Carlito's Way, 1993), par Jean-François BUIRÉ
Notre ami et collaborateur occasionnel Jean-François BUIRÉ signe un livre percutant, intégralement consacré à Carlito's Way (L'Impasse), l'un des meilleurs films de Brian DE PALMA. Nous conseillons donc vivement la lecture de cette analyse...
Lire la suite30.12.24
ÉCLIPSES N°75 : Jean-Luc GODARD, que peut le cinéma ?
ÉCLIPSES N°75 : Jean-Luc GODARD, que peut le cinéma ? Sous la direction de Alexia ROUX et Saad CHAKALI À 20 ans, ce fils bien né (son père est médecin, sa mère issue d’une grande lignée suisse protestante enrichie dans la banque) rompt...
Lire la suite20.12.24
Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI
Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...
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09.12.24
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Film : Freaks
On ne naît pas monstre, on le devient
Réalisateur : Tod Browning
Auteur : Paul Montarnal
Lire l'article19.04.12
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Film : Le Locataire
Elle et l’huis clos (3/3)
Réalisateur : Roman Polanski
Auteur : Youri Deschamps
Lire l'article17.04.12
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Film : Rosemary's Baby
Elle et l’huis clos (2/3)
Réalisateur : Roman Polanski
Auteur : Youri Deschamps
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L'Aventure de Mme Muir
(Joseph L. Mankievicz, 1947)
Quatrième film de Mankiewicz, L'Aventure de Mme Muir semble à première vue s’avancer sur les traces du mélodrame victorien, mâtiné d’un soupçon de fantastique psychologique. Mais la romance file à l’anglaise pour mieux s’abîmer sur les récifs du grand fantasme compensatoire, dans une infinie mélancolie. Beau, fragile et doux comme le visage de Gene Tierney, dont la caméra de Mankiewicz recueille toutes les nuances et les incertitudes.
Un fantôme du dedans
A la suite du décès de son mari, Lucy Muir, une londonienne de la fin du 19ème siècle, décide de quitter sa belle famille pour vivre seule avec sa fille Anna dans une maison de bord de mer. La maison, décor quasi unique, est hantée par le capitaine Gregg, revenant bourru mais sympathique qui seul saura prendre dans la vie de Lucy (et par-delà sa mort) la place privilégiée. Le temps de l’intrigue équivaut à ce qu'il reste de vie à Lucy une fois veuve. Exceptés les épisodes périphériques concernant une liaison infructueuse avec Miles Fairley (George Sanders) - écrivain pour enfant et séducteur impénitent -, et les quelques scènes relatives à la vie d'Anna (son départ pour le collège, son mariage...), "l'action" concerne exclusivement les rapports de Lucy avec le capitaine Gregg, un fantôme du dedans, comme une réponse du cœur au dehors muet du monde.
Le temps des autres
Pourquoi cette belle et jeune veuve décide-t-elle de se retirer dans un cottage si loin de tout ? Et que signifient ces conversations fantomatiques ? C’est l’horreur du vide, l’autre qui fait défaut. Une absence qui vient nourrir la mise en scène, le beau souci de Mankiewicz. Lucy a toujours vécu par procuration, c'est ainsi qu'elle justifie son départ auprès de sa belle-famille : "j'ai ma conception de l'existence et vous la vôtre, et elles sont inconciliables. Je n'ai jamais vécu ma propre vie, j'ai vécu celle qu'Edwin [son défunt mari] m'imposait et la vôtre, jamais la mienne". En quittant Londres et une société vivant encore à l'heure des conventions victoriennes, elle s'émancipe du temps des autres pour gagner un temps à elle, un temps propre, subjectif, et part vivre sa vie de femme enfin libérée, croit-elle. Après tout, "nous sommes presque au 20ème siècle !", ne cesse-t-elle de répéter. Pour Lucy c'est une renaissance, mais on ne se libère pas aussi facilement du temps passé : il est certaines forces qui empêchent les décisions les plus fermes. Et c'est là qu'intervient le fantôme, qui n'a rien d'un deus ex machina ou d'un esprit frappeur. C'est elle qui littéralement le fait apparaître, en balayant la cuisine de la lueur de sa bougie.
Bovarysme radical
Dans un premier temps, le capitaine Gregg va lui permettre de faire un petit saut dans le temps et de "vivre au 20ème siècle", de braver certains interdits victoriens : en lui dictant ses mémoires de vieux loup de mer au langage fleuri, il lui donne accès à l'indépendance financière, puis il lui permet de dépasser sa condition de veuve en l'autorisant en quelque sorte à aimer encore. Mais l'épisode Miles Fairley (George Sanders) sanctionne un premier échec : Lucy tombe dans les griffes d'un séducteur-prédateur et ses désirs sont une fois de plus contrariés ; malgré l'isolement, la société veille à la bonne marche des règles qu'elle impose à chacun. Image directement sortie de l'inconscient de Lucy, le capitaine est lui-même un personnage ambivalent, à la fois adjuvant et opposant, auxiliaire de libération et personnification des interdits moraux : la réunion finale, par-delà la mort, n'est en effet qu'un leurre de plus. Malgré tous ses efforts, Lucy invente une forme de bovarysme radical : elle aura passé sa vie à attendre, à regarder s'écouler sous sa fenêtre, en spectatrice, le temps qu'elle avait voulu changer, sans aimer, si ce n'est une chimère, dans la frustration éternelle. A partir d'une configuration des plus rudimentaires - un lieu unique, deux acteurs, un découpage basique et une fausse histoire de fantôme -, Mankiewicz parvient à créer un espace-temps purement intérieur, un récit à la première personne totalement subjectivisé. Un drame intimiste et une tragédie de l’intime ; un film fantastique.
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