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20.12.24

Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI

Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...

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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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Revoir : La Terre de la folie  

La Terre de la folie
(Luc Moullet, 2009)

Fragments d'un autoportrait

par Florent Barrère le 20.01.11

La Terre de la folie est un documentaire français tourné en 2009 et sorti sur les écrans français le 13 Janvier 2010. A soixante treize ans, le cinéaste Luc Moullet, très à part dans la cinématographie nationale (cinquante ans de carrière, mais seulement dix longs métrages pour trente courts), étonne par la dimension épique de son dernier film : là où les thématiques décalées étaient auparavant traitées dans l’austérité la plus cocasse, La Terre de la folie fait feu de tout bois (pédagogie, satire, enquête de terrain) pour embrasser son dessein : circonscrire le territoire de la déviance mentale en France. Là où le spectateur s’attendait à une satire potache du crétinisme français, que pouvait promettre le « Grand prix 2009 du festival du film grolandais de Quend », il se surprend à apprécier une approche scientifique de l’atavisme local, où Luc Moullet ne renie pas pour autant ses thématiques habituelles, livrant même l’autoportrait le plus sensible de sa carrière.

Luc Moullet, pour une raison qui semble avant tout personnelle (son propre père aurait été paranoïaque, tour à tour fervent défenseur de Staline, Hitler, Mao et… Mitterrand !), s’intéresse à l’origine des troubles mentaux de sa région natale, les Préalpes du Sud. Les causes les plus sérieuses sont ainsi passées en revue, la plus fréquemment retenue étant celle des désordres thyroïdiens survenus récemment par la dispersion des cendres du nuage de Tchernobyl et la contamination des végétaux alentours, mais présents depuis toujours dans cette région privée d’iode et marquée par le goitre des crétins des Alpes. Pourtant, la simple étude des troubles médicaux ne tient pas et très vite, dans l’insatisfaction de l’enquête, le projet scientifique de Luc Moullet vrille : ce n’est plus à l’origine mais à la surface des évènements que mûrit la folie, dans la répétition des mêmes gestes, dans l’atavisme comportemental.

Le cinéaste dégage ainsi de la grande masse informe du quotidien campagnard les invariants (femmes humiliées, maris violents, suicides au fusil ou immolations par le feu) en leur trouvant une raison par la folie. A Cruis, le mari tue sa femme et se suicide. A Saint-Etienne, le mari tue sa femme et se suicide. Il peut en plus tuer ses enfants comme à Vivielle, Larche ou Puimoisson. Cette litanie d’horreurs locales proférée face à un spectateur majoritairement urbain dresse l’inventaire quasiment infini des signes patents de la démence. Mais afin de ne pas se disperser dans ce recensement vertigineux, Luc Moullet opte pour le même principe méthodique que le chercheur en sciences naturelles : circonscrire un territoire. La délimitation précise d’une zone de recherche passe par le quadrillage d’une carte IGN ; et sous nos yeux incrédules apparait avec des bouts de papiers et des petits élastiques la forme géométrique du pentagone. C’est la belle surprise du dernier film de Luc Moullet : la où la folie pouvait auparavant gripper le récit pour rendre une situation simplement imprévisible ou cocasse, le cinéaste reste désormais droit dans ses bottes, toujours soucieux (par la topographie et la pédagogie scientifique) de ne pas perdre son spectateur sur le lent cheminement rural de la démence.

Néanmoins, les désordres psychiques, ancrés puissamment dans le terroir alpin et les affaires familiales, inspirent à Luc Moullet une mise en scène axée sur le dérapage, l’affaissement, voir la dérive mystique (la magie noire, le satanisme et le sectarisme s’alimentent et vivent de cette folie paysanne). Or, comment se traduit ce glissement qui teinte si pertinemment La Terre de la folie ? Avant tout par la cohabitation en un même lieu de deux temporalités différentes : le temps de l’enquête et le temps de l’incident. Cette cohabitation se révèle souvent tragique, notamment par les locaux de l’hôpital psychiatrique de Laragne qui demeurent terriblement identiques depuis vingt ans, malgré la dangerosité des paranoïaques accueillis ; mais aussi burlesque, comme à Séderon, où l’ancienne Mairie se trouve être actuellement… un poulailler !

Cette dérive contamine aussi la forme du documentaire, qui accueille en son sein des parcelles de fictions. Cette cohabitation entre fiction et documentaire ne vise pas l’impureté de la forme, nouvelle dynamique narrative du cinéma spectaculaire hollywoodien – pensons à Cloverfield (2008) de Matt Reeves ou encore à District 9 (2009) de Neill Blokamp –, car la fiction chez Luc Moullet n’entre jamais par effraction : elle est plutôt invoquée par la parole des intervenants, et sert de fil d’Ariane à leurs longs discours (illustration d’une étable pour saisir l’aliénation de la femme – la bastardoun – contrainte à nourrir les cochons, ou mise en scène de mannequins brulés et noircis pour figurer l’horreur de l’immolation). Ces maillages de la fiction au sein du documentaire pédagogique et scientifique démontrent la maestria de Luc Moullet, qui livre dans La Terre de la folie son plus bel autoportrait.

Ce désir de franchir l’espace pro-filmique afin d’assurer soi-même la narration documentaire avait réussi à Werner Herzog sur l’hexagone français, dès Ennemis intimes (1999), mais surtout avec la belle ballade folk Grizzly Man (2005) et la quête absurde Incident at Loch Ness (2004) de Zak Penn. Cette voie explorée par Werner Herzog pour le bonheur des cinéphiles français profite enfin à Luc Moullet, La Terre de la folie étant son plus grand succès commercial (plus de 16000 spectateurs en salle), quand bien même il s’était proposé comme acteur de ses propres films dès Anatomie d’un rapport (1975), et surtout dans le stupéfiant Le Prestige de la mort (2007) !

Dès le premier plan de La Terre de la folie, Luc Moullet se révèle brutalement présent, s’adressant dans un entre-deux que le film s’acharnera à creuser : « Je ne suis pas quelqu’un de très normal. Je vis toujours un peu en dehors de la réalité ». Le cinéaste, le visage marqué par ses soixante douze ans, voix légèrement tremblante, barbe grisonnante, confessant par la suite son autisme et sa solitude (misanthropie ?), livre de lui un portrait lacunaire, troué de doutes et d’angoisses, qui n’est pas sans rappeler la dimension fragmentaire et absurde de l’autoportrait que Paul Valéry nous laissait avec le posthume Monsieur Teste (1946) : Revenant à M. Teste, et observant que l’existence d’un type de cette espèce ne pourrait se prolonger dans le réel pendant plus de quelques quarts d’heure, je dis que le problème de cette existence et de sa durée suffit à lui donner une sorte de vie (Editions Gallimard, 1946. p. 10-11).

Mais la folie imaginée dans La Terre de la folie n’est pas celle du cinéaste, et Luc Moullet se plait à rappeler en entretien qu’il n’a pas mis les pieds dans le pentagone fatal depuis l’âge de quatorze ans. C’est donc une terre d’élection, et non d’origine. Comment donc s’articule à travers le film cette relation entre la béance et la folie ? Entre le vide et la démence ? Sur le terrain géographique, la folie loge dans les lacunes territoriales, dans cette dé-liaison entre communes, où parfois il n’y a pas un seul habitant au kilomètre carré sur un territoire où le vent ne cesse de souffler. Sur le terrain sémantique, Luc Moullet joue au machiniste de théâtre en introduisant lui-même son sujet, avant de se retirer devant les témoins du drame non sans contrôler l’intégralité du récit, par le recours systématique à une voix-off. Il offre ainsi au spectateur un projet didactique complet, articulant à sa guise l’enquête de terrain et les entretiens filmés, et se fendant même de quelques à-côtés burlesques : l’entracte sur le berger Ricquet en cours de film, un suicide ridiculement avorté en haut d’un pont, ou encore une sévère critique de sa propre mise en scène.

Ainsi, dans le dernier plan du film, sans doute le plus beau contrepoint du cinéma documentaire français, Luc Moullet met en perspective la validité de son propre discours par un dialogue à l’italienne avec sa sœur (Antonietta Pizzorno Moullet), qui se prête avec délectation au principe de la contradiction. – Qu’est-ce que ça à voir Tchernobyl ou le goitre avec la folie, allons ! – Tchernobyl, ben… la région est infectée de radiations, partout… – La radiation ne donne pas la folie ! […] – A chaque fois que je t’emmène sur un tournage, tu me contredis ! Après un sujet maîtrisé, avec la gravité et l’ampleur requises, Luc Moullet se laisse aller, dans un dernier plan-séquence, à une trivialité enfantine avec sa sœur et complice de toujours, où les deux argumentations sont forcément irréconciliables, situation burlesque qui faisait déjà tout le sel d’Imphy, capitale de la France (1995). Néanmoins, la bouffonnerie extravagante de ce dialogue, filmé sur une terre alpine sèche, désolée, empreinte de folie, met une dernière fois en crise la mise en scène du cinéaste. Grande élégance sceptique de la part de Luc Moullet.

Florent Barrère

 

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