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20.12.24
Info Parution : "CINÉCASABLANCA, la Ville Blanche en 100 films", par Roland CARRÉE et Rabéa RIDAOUI
Notre collaborateur et coordinateur Roland CARRÉE publie un livre consacré aux films tournés à Casablanca, co-écrit avec Rabéa RIDAOUI, également collaboratrice à la revue ÉCLIPSES. Dès les premiers films de l’époque coloniale,...
Lire la suite26.02.24
Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet
Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...
Lire la suite25.09.23
Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps
Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée.
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09.12.24
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Film : Freaks
On ne naît pas monstre, on le devient
Réalisateur : Tod Browning
Auteur : Paul Montarnal
Lire l'article19.04.12
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Film : Le Locataire
Elle et l’huis clos (3/3)
Réalisateur : Roman Polanski
Auteur : Youri Deschamps
Lire l'article17.04.12
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Film : Rosemary's Baby
Elle et l’huis clos (2/3)
Réalisateur : Roman Polanski
Auteur : Youri Deschamps
Lire l'articleRevoir : Le Chant du styrène
Le Chant du styrène
(Alain Resnais, 1958)
Au départ simple film d’entreprise réalisé pour le compte des usines Péchiney, Le Chant du Styrène est à l’arrivée une véritable oeuvre d’artiste, originale et singulière, qui figure parmi les plus belles réussites documentaires de la carrière d’Alain Resnais. Largement dépassés par la créativité débridée du tandem Resnais/Queneau (ce dernier signe le commentaire, et on ne peut imaginer meilleur alter ego littéraire du cinéaste), les termes de la commande originelle sont toutefois scrupuleusement respectés : de l’éthyle benzène surchauffé au moulage industriel, toutes les étapes de la fabrication du plastique et de ses multiples usages passent l’une après l’autre sous la caméra-stylo des deux auteurs. Seulement, le didactique le dispute au poétique qui finit par prendre le dessus sans faire ombrage au premier. L’ouvrage est ambitieux, la facture lui rend hommage : afin d’investir comme il se doit ce royaume mystérieux des transformations multiples et des déclinaisons infinies, l’angle, le ton et l’attaque ne peuvent, eux, se contenter de l’ordinaire et des développements balisés par l’usage. A la chimie du plastique répondent l’alchimie du verbe et de la mise en scène, si bien que l’obole initiale consacre les vertus d’un Oulipo libérateur, qui écrit la danse et le mystère de la matière autour d’un bol, héros sombre et fier, flottant dans l’air mais ayant cependant ses racines bien en terre.
Les premières images voient se dresser faune et flore d’abord énigmatiques : des tiges de plastique multicolores poussent derrière un fond noir, pour bientôt laisser place au déploiement solennel de quelque « tentacule » de même nature. On pense alors au cinéma scientifique de Jean Painlevé (un parrainage qui fait immédiatement autorité), lequel, le premier, dota l’exercice de réelles qualités esthétiques et plastiques (sic). Ce prologue évoque même plusieurs titres en particulier, comme La Pieuvre (1928) ou encore L’Hippocampe (1934), film qui en son temps sut enchanter les surréalistes (école littéraire à laquelle l’écrivain Raymond Queneau n’est d’ailleurs pas étranger). Ensuite, la matière presque abstraite se décline en différents objets communs : récipients divers, raquettes de tennis, tourne disque, pour arriver à celui qui sert de guide à l’exploration des origines et de ses arcanes : le bol. « O temps, suspend ton bol ! », déclame la voix du commentaire dit par Pierre Dux. On aura bien sûr identifié l’effronté détournement du Lac de Lamartine, ici convoqué pour remonter la généalogie dudit bol et répondre du même coup à la fameuse question du poète visionnaire : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? ».
On ne saurait toutefois s’en tenir à la seule dimension ludique et drolatique de la parodie. En cette fin des années cinquante, le plastique est une véritable révolution, à la fois technique et sociologique ; il n’est rien moins que l’emblème favori de la société de consommation. D’une certaine façon, les premiers plans du film commentent donc le titre, qui repose lui-aussi sur un jeu de mots : le styrène est bien un animal fabuleux, difficile à appréhender mais présent partout, dont le chant polymorphe attire les consommateurs contemporains sur les écueils du simili. Ecouter le chant du styrène, comme jadis les infortunés marins du mythe écoutaient celui des sirènes, c’est se laisser charmer, séduire par la voix mélodieuse et confiante d’une modernité au rabais. Car le styrène en question, héraut des temps modernes, n’est finalement que le produit des déchets du pétrole ou du charbon, comme le démontre le film dans les dernières scènes.
Preuve qu’il s’agit bien d’un véritable phénomène de société, Roland Barthes lui consacre l’une de ses Mythologies un an auparavant (éditions du Seuil, 1957). Sous la plume du sémiologue, l’article « Plastique » se lit comme un scénario potentiel pour le futur film de Resnais, l’humour y compris. « Malgré ses noms de berger grec – Polystyrène, Phénoplaste, Polyvinyle, Polyéthylène – , le plastique […] est essentiellement une substance alchimique », écrit Roland Barthes. « Il est en somme un spectacle à déchiffrer », ajoute-t-il, et c’est précisément ce à quoi s’attache le film de Resnais. L’analyste y voit une révolution dans la mode du simili : « c’est la première matière magique qui consente au prosaïsme […] Pour la première fois, l’artifice vise au commun, non au rare ». Une fantasmagorie de l’ordinaire que le film cultive constamment, parfois même « à distance ». Ainsi, deux plans séparés dans la continuité semblent cependant se regarder, en une sorte de champ-contrechamp imaginaire : un bol rouge en lévitation dans l’espace, comme une soucoupe volante venue d’une autre planète (« question controversée, obscure origine »), et un technicien devant un panneau de contrôle, face caméra, comme s’il manœuvrait à l’atterrissage de l’objet volant enfin identifié. Effet d’images potentiel (et doué d’un certain sens de la subversion compte tenu de la nature institutionnelle de la commande de départ), camouflage du sens profond dans l’implicite et la polysémie rieuse, qui déjà indiquent la double appartenance d’Alain Resnais cinéaste : documentariste de science-fiction et arpenteur de l’image lunaire.
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